Sécurité alimentaire

Viande solidaire: un projet bien ficelé pour lutter contre l’insécurité alimentaire

Ressource

Grâce à une collaboration exceptionnelle entre différents acteurs de la MRC de Coaticook, le projet d’économie circulaire Viande solidaire permet au Centre d’action bénévole de s’approvisionner à très bon prix, tout en évitant le gaspillage de milliers de livres de viande. Coup d’œil sur une initiative de lutte à l’insécurité alimentaire unique au Québec.

« Je trouvais ça désolant qu’un animal, simplement parce qu’il boite, soit abattu sans que sa viande puisse être vendue à un prix avantageux à un organisme local d’aide alimentaire comme le Centre d’action bénévole de la MRC, explique Jacinthe Lévesque, copropriétaire de l’Abattoir Régional de Coaticook. Au fil des années, j’ai proposé plusieurs façons d’éviter ce gaspillage, mais on me disait toujours : non, on n’a pas le droit de faire ça, parce que l’animal est fragilisé. »

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Jérémie Bergeron, Jacinthe Lévesque et Gilles Bergeron, copropriétaires de l’Abattoir Régional de Coaticook

Respecter une réglementation complexe

Le Règlement sur la santé des animaux de l’Agence canadienne d’inspection des aliments (ACIA) prévoit des dispositions spéciales, et complexes, concernant le transport des animaux. Ainsi, les animaux en pleine santé et parfaitement ambulatoires sont dits « aptes » au transport. Ils sont amenés vers des centres de grand rassemblement où ils sont vendus à l’encan, puis acheminés vers des abattoirs souvent très éloignés. Les animaux malades, blessés ou incapables de se déplacer par eux-mêmes (non ambulatoires) sont, pour leur part, considérés comme inaptes au transport.


En revanche, un animal qui boite, tout en étant ambulatoire, peut être transporté seul, et vers l’abattoir le plus proche. Ces conditions visent à réduire son stress et les risques d’aggravation de sa boiterie.

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Guillaume Nadeau, propriétaire de la ferme Redeau à Coaticook

Plus facile à écrire qu’à faire…

Plusieurs obstacles rendent cette étape plus complexe qu’il n’y paraît pour les producteurs qui voudraient pouvoir vendre ces animaux fragilisés et pour des organismes, comme le CAB, qui souhaiteraient acheter cette viande saine.

  • L’éleveur, ou le transporteur, doit établir la différence entre un animal inapte au transport et un animal fragilisé, mais la ligne est mince entre les deux, surtout en cas de boiterie.
  • Planifier le transport d’un animal seul vers un abattoir n’est ni simple ni gratuit.
  • Le producteur peut faire abattre un animal fragilisé dans un abattoir dit de proximité, mais dans ce cas, il doit réserver la viande pour sa consommation personnelle uniquement.
  • Pour que la viande de l’animal puisse être vendue, ou donnée, il doit être abattu dans un établissement sous inspection provinciale. Dans un tel abattoir, un·e inspecteur·trice du MAPAQ et un·e vétérinaire sont présent·e·s en permanence et s’assurent, avant et après l’abattage, que l’animal est sain, ainsi que sa viande.
     
    Ces contraintes incitent les producteurs à abattre l’animal et enterrer ou composter sa carcasse à la ferme selon des règles strictes, ou encore, à recourir aux services d’une entreprise d’équarrissage (Sanimax, au Québec). Contre rémunération, celle-ci récupère l’animal abattu et le transforme en divers sous-produits non comestibles.


Résultat : le producteur subit une perte nette alors que la viande de l’animal est saine, et le CAB n’a pas accès à ces protéines animales et locales à un prix accessible, dont il a pourtant bien besoin, puisque l’insécurité alimentaire a nettement augmenté au cours des dernières années !

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Sandy Lalancette, conseillère à la vie syndicale UPA-Estrie

L’économie circulaire : une solution sur mesure

« Les producteurs, qui sont nombreux dans la région, abordaient souvent cet enjeu durant les rencontres locales, mais organiser le transport d’animaux fragilisés n’est pas dans notre mandat, précise Sandy Lalancette, conseillère à la vie syndicale à la Fédération de l’UPA-Estrie. Toutefois, trouver une façon de ne plus gaspiller de la viande saine était un défi très rassembleur, et les astres ont fini par s’aligner en 2021. »

Pour arriver à une solution concrète, il fallait réunir toutes les parties concernées. Or, ce type de maillage tombe tout à fait dans les cordes du projet Synergie Estrie, dont les coordonnateurs accompagnent les entreprises et les organisations dans leurs projets d’économie circulaire.

« Au cours des rencontres avec tous les acteurs concernés, nous avons mieux compris les besoins et les capacités de chacun, raconte Cynthia Corbeil, coordonnatrice de Synergie Estrie pour la MRC de Coaticook. En collaborant notamment avec Sandy Lalancette, nous avons élaboré un scénario qui respectait les réglementations sur le transport des animaux fragilisés et les différents types d’abattoirs, ce qui a rassuré les producteurs. Et le producteur Guillaume Nadeau s’est activement impliqué dans le démarrage du projet. »

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Cynthia Corbeil, coordonnatrice de Synergie Estrie pour la MRC de Coaticook

Un projet solidaire et équitable

Ces rencontres et cette compréhension plus fine des réglementations ont fait émerger une solution où chacun a trouvé sa place et une juste rémunération. « Pour que ce circuit fonctionne, l’équité est un point central, souligne Sandy Lalancette. Il est essentiel que le producteur, le transporteur et l’abattoir soient payés à un juste prix. »


Le CAB est le porteur du projet et l’UPA sert de courroie de transmission avec les producteurs. De plus, par l’intermédiaire de son Fonds Vitalité entrepreneuriale, la MRC de Coaticook a favorisé le démarrage de l’initiative en finançant, durant la première année, 50 % des coûts, à hauteur de 10 000 $.

L’abattoir régional de Coaticook est l’acteur central de cette démarche circulaire, pour plusieurs raisons :

  • Il est sous inspection provinciale, ce qui l’autorise à vendre la viande au CAB.
  • Il se situe à proximité raisonnable des éleveurs des MRC de l’Estrie, ce qui permet de respecter la disposition de la réglementation qui stipule que les animaux fragilisés ne doivent pas être transportés sur de longues distances.
  • Il prend en charge le transport des animaux fragilisés.
  • Il dispose d’une salle de découpe C1, ce qui lui permet de fournir au CAB de la viande hachée congelée emballée sous vide.  
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Moins de gaspillage et des économies pour le CAB : qui dit mieux ?

« Nous avons acheté environ 5 000 livres de viande au coût de 4,17 $/lb, rapporte, Sanny Tanguay, coordonnatrice Maintien à domicile et dépannages au CAB. La subvention de la MRC a réduit notre coût d’achat à 2,09 $/lb durant la première année, ce qui nous a permis d’économiser sur nos coûts d’approvisionnement habituels et de maintenir un prix modique pour le dépannage alimentaire, la popote roulante et les repas préparés dans notre cuisine collective. Et, même sans la subvention de la MRC, le projet s’autofinance, car le prix reste compétitif, d’autant plus que nous n’achetons plus de bœuf d’autres fournisseurs. »

En effet, depuis les débuts du projet, l’approvisionnement du CAB a augmenté. « En 2023, nous avons acheté en moyenne un bovin par mois, puis deux en novembre et décembre 2023, la période de pointe pour la préparation des tourtières, précise Sanny Tanguay. En 2024, nous maintiendrons une moyenne de deux animaux par mois et, depuis janvier, nous nous approvisionnons en porc de la même façon, à raison de six par mois. Jusqu’à présent 12 producteurs ont participé à ce projet. »

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Roch Létourneau, président du CAB et Marjorie Tyroler, directrice générale, Au Gala de la Fondation estrienne en environnement

Une diversification et un financement supplémentaire

Le CAB a en effet décidé d’utiliser le même modèle pour s’approvisionner en porc à coût modique. Pour amorcer ce deuxième volet, l’organisme a obtenu 15 000 $ du Comité estrien des saines habitudes de vie (Comité estrien-SHV) dans le cadre de l’appel de projets « L’accès aux aliments sains, c’est l’affaire de tous ».

« Le projet Viande solidaire améliore l’accès physique et économique à une saine alimentation, qui constitue une des orientations de la Politique gouvernementale de prévention en santé, indique Guylaine Lampron, coordonnatrice du Comité estrien-SHV. De plus, le CAB a intégré un groupe d’organismes accompagné par le Pôle d’entrepreneuriat collectif de l’Estrie. Ce partenaire du Comité offre une série d’ateliers participatifs visant à renforcer et pérenniser les activités des entreprises d’économie sociale. »

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Guylaine Lampron, coordonnatrice du Comité estrien-SHV

Moins d’émissions de GES

Comme l’empreinte environnementale de la production animale est forte, il est d’autant plus important de lutter activement contre le gaspillage de viande. Parce que le gaspillage alimentaire dans son ensemble ne fait pas que priver les humains d’une source de nourriture : il entraîne lui-même l’émission d’une grande quantité de GES en pure perte.

Synergie Estrie estime que la valorisation de la viande des animaux fragilisés a réduit les émissions de GES de 80 tonnes au cours de la première année. En effet, ces bovins voyagent localement, contrairement aux animaux qui passent par l’encan et qui sont ensuite transportés sur de très grandes distances. « De plus, il s’agit d’une viande de qualité produite par des éleveurs de la région », fait valoir Sandy Lalancette.

Pas étonnant que Viande solidaire ait reçu un des cinq prix d’excellence remis à l’occasion du Gala 2023 de la Fondation estrienne en environnement. Mais, au-delà de cette distinction bien méritée, ce que souhaitent les acteurs de ce projet remarquable, c’est qu’il serve de modèle dans les régions du Québec qui disposent d’un abattoir sous surveillance provinciale.

Photo en Une : Préparation des tourtières et à l’occasion de la Grande cuisine collective des Fêtes au Centre communautaire Élie-Carrier, à Coaticook

* Cet article a été publié dans le cadre d’un partenariat avec le Collectif TIR-SHV. Découvrez les autres articles de cette série :

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Zoom sur les réalisations des Tables intersectorielles régionales en saines habitudes du vie

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